09/01/2022

Une voix s'est tue... › « ADIU PÈIRE »

Ethnographe, occitaniste, conteur, musicien, chanteur, élu local et... météorologiste sur Radio 4, la contribution de Pèire Boissière à l'identité du Haut-Agenais aura été essentielle.| Photo extraite du film de Michel Jomard (2013)

Pèire Boissière est mort. Durant plus de trente cinq ans, il avait été l'une des voix – marquante et inoubliable – de Radio 4. La voix des racines occitanes de notre pays et des gens qui y vivent, même si les jeunes générations ne s'expriment plus dans la lenga d'òc

Précisément, c'est pour faire vivre la langue au quotidien qu'il eut l'idée, au lancement de la radio en 1983, d'un bulletin météo bilingue, français-occitan...



« Après-mègjorn, i  aurà quauques aigats... mais doman tornarà plèure. » Quasiment tous les matins de la semaine (1), aux infos de 7h30, la voix de Pèire nous donnait la météo : « Cet après-midi quelques averses, mais demain la pluie sera de retour.»

Derrière cet exercice occitano-radiophonique, il y avait un véritable travail. Il appelait les stations d'Agen et de Bergerac, effectuait chez lui ses propres relevés qu'il consignait soigneusement dans ses cahiers, puis il rédigeait un bulletin original qu'il délivrait aux auditeurs des quatre cantons.  (Photo ci-dessus)

C'était l'époque où, à l'heure de "donner aux bêtes", toutes les étables du pays avaient leur poste à transistors pour suivre, aussi, la Page agricole de Jean-Étienne Monier.

À l'époque où l'écrasante majorité des stations FM de France et de Navarre avaient confié leurs platines tourne-disque aux DJ des discothèques en vogue, une radio FM – media moderne – se mettait soudain à parler en òc.

Ce n'était ni floklorique, ni anecdotique

Bien plus que le bulletin météo, Pèire Boissière nous fit découvrir dans une série d'émissions intitulées Lo cap e las mans (La Tête et les Mains) que nos campagnes recélaient d'authentiques inventeurs, des chanteurs également et des musiciens (Canta que cantaràs), des conteurs (Parla papièr, Paraulas per l'aire), des raconteurs de Pays (Me sovèni un còp), des sujets de débat citoyens (Qualqu'un pagarà ben), ou encore la toponymie qui a inscrit physiquement la langue dans notre paysage (A la font de Turalura)...

Et la liste serait très longue !

Pèire Boissière (àg.) et Claude Pons au cours d'une séance de travail à Radio 4... - Archives Jean-Paul Epinette

Pèire Boissière était revenu au pays à la faveur d'une proposition de Claude Pons et de l'association des Quatre Cantons du Haut-Agenais qui avait vu le jour quelques mois plus  tôt.

Ingénieur agronome de formation, Pèire était également un passionné de culture et de tradition populaire, selon le vocable de l'époque.

Dès la rentrée 1977, venant d'Aurillac (Cantal) une semaine sur deux, il assura des cours d'occitan au collège de Monflanquin et ouvrit un grand chantier de "collectage" de la mémoire du pays.

Une mémoire orale qu'il fallait  absolument recueillir si l'on ne voulait pas qu'elle disparaisse avec ses derniers détenteurs.

Magnétophone en bandoulière, Pèire alla à la rencontre de dizaines et de dizaines d'anciens du Haut-Agenais pour recueillir chants traditionnels, contes, musiques, danses, jeux et témoignages sur la vie paysanne de notre territoire.

Mais il fallait aussi que cette culture soit diffusée, pour qu'elle revive. Pèire se fit donc animateur de terrain, organisant des veillées, avec des danses, des jeux, des musiciens, des conteurs...

Et puis, on se lança aussi dans l'édition : une cassette et un livret Per Cantar e dançar, un film 16 mm Quò's Pas Fenit ainsi qu'un livre du même titre, un disque 33 tours Cantaires del Naut-Agenès...

La contribution de Pèire Boissière
à la connaissance de notre patrimoine culturel
aura enraciné l'identité du territoire

Pèire se mit à l'écriture, pour diffuser le travail entrepris avec Claude Pons à la Maison de la Vie Rurale dès 1979, et qui  ouvrit à "Marsal", entre Monflanquin et Corconat, avec son Musée de la Machine agricole.

S'ensuivirent, plusieurs ouvrages édités par Sous les Arcades, et sans cesse augmentés  : Labours, semailles, moissons et battages (1984),  Labours et cultures en billons (1987) et une étude remarquable sur la rivière La Lède (1994 et 1997).

L'intérêt de Pèire Boissière pour la chose publique ne se cantonnait pas au renouveau d'une culture traditionnelle. Pèire sut aussi conjuguer le verbe s'engager au présent.

Si sa présence sur les liste du Parti Occitan n'obtint qu'un écho de sympathie, ses concitoyens n'hésitèrent pas à lui confier l'écharpe de Maire de Lacaussade (47150) qu'il transmit en mars 2001.

Veillée occitane, en 1980. Pèire Boissière (accordéon), Mireille Monier (violon) et au premier plan, Joël Coupé et Jean-Étienne Monier (de g. à d.). - - Photo Simon Vaissière.

Enfin, on ne peut évoquer Pèire Boissiière sans parler de sa voix. Particulièrement quand il chantait. Un chant profond qui prenait aux tripes.

Comme le Branle boièr qu'il exhuma de la mémoire locale – d'avant le siècle dernier – longues complaintes de laboureurs qui dans la brume du jour naissant, se répondaient d'un champs à l'autre. En écho, d'un chant à l'autre.

Pèire avait été profondément marqué par sa rencontre avec un grand chanteur traditionnel, à la fin des années 1970. Il avait découvert Félicien Beauvié, dans son moulin de Pépicou, au bord du Dropt, à Parranquet.

Ce fut une révélation. Félicien Beauvié était un chantre, de ceux que l'on allait chercher, loin à la ronde, pour un office religieux solennel, par exemple. Pèire Boissière en était convaincu : il avait rencontré le dernier détenteur d'un savoir chanter aujourd'hui éteint.

Comme les harmonies, les inflexions, les ornementations que le vieux chanteur était encore capable de reproduire à la fin de sa vie. Félicien Beauvié était aussi le détenteur d'un répertoire dont on ignorait tout...

On vit donc Pèire tracer aussi sa route. Avec son accordéon diatonique ou chantant a capella, ou s'accompagnant de percussions traditionnelles. Et, tel un troubadour, donner des représentations à travers le pays.

Sa culture musicale était tellement enracinée dans la tradition locale qu'il suscita de l'intérêt chez de nombreux artistes et musicologues bien au-delà de notre territoire.

On n'entendra plus sa voix. Seuls ceux qui ont la chance de posséder ses enregistrements pourront apprécier. Pèire s'est tu. Définitivement.

En occitan, « Adiu » salue aussi bien celui qui arrive que celui qui nous quitte.

Quand on l'accueillait à l'antenne, on lui disait « Adiu, Pèire ». Et lui de nous répondre : « Adiu e adiussiatz totses ! »

Nous serons nombreux à entendre sa voix, encore, résonner dans nos souvenirs.

À ses enfants, à sa famille, à ses proches, nos très vives condoléances. – Jean-Paul Épinette


(1) – On n'oubliera pas dans cette évocation ceux qui permirent à Pèire de souffler un peu : Aimée Lacombe, bien sûr, mais aussi Marthe Austruy, de Saint-Aubin, ou Jean-Claude Bru, de Rives.


 

 

 

 

 

 

 

09/01/2022